Photo de mer.Epaves
Les épaves ne sont jamais ordinaires
J’ai hésité à passer cette photo. J’ai hésité à vous proposer ce texte. Mais parfois il faut faire les choses, dire les mots, au moment où on en sent le besoin.
Je voulais vous parler d’une actualité qui date déjà de plusieurs semaines.
Une information qui est apparue pour être immédiatement chassée par une autre. Un sous-marin avait disparu. C’était le 21 avril dernier.
Vous vous en souvenez peut-être. C’était loin, de l’autre côté du monde, au large de Bali.
Le KRI Nanggala appartenait à la marine indonésienne. En Europe, en France, la presse s’est bien sûre émue de la disparition.
En pages intérieures. Avant d’évoquer qu’il avait été retrouvé, quatre jours plus tard, en trois morceaux, par 700 mètres de fond.
Toujours en pages intérieures. Si j’osais, je dirais « fin de l’histoire ». Je pense que vous n’entendrez plus parler de ce sous-marin.
C’est pourtant maintenant que tout commence.
Vous connaissez les vers de Victor Hugo :
« Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ?
Combien ont disparu, dure et triste fortune ?
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfoui ? »
Je pense donc à eux. Pas seulement aux capitaines. A ces marins partis sans se douter qu’ils ne reviendraient pas.
A l’équipage du KRI Nanggala dont on ne saura jamais s’ils ont compris, ou pas, ce qui leur arrivait.
Aux familles qui, les voyant s’embarquer, pensaient déjà aux repas du retour, à la joie des enfants (ces marins sont souvent très jeunes), mais pas au non-retour.
J’en parle aujourd’hui car quand un avion s’écrase, le sujet devient un enjeu mondial. On convoque experts et contre-experts.
L’avionneur est sommé de s’expliquer. Les familles se regroupent et demandent des comptes.
La presse, des mois voire des années durant, revient sur le drame.
En mer, et encore plus sous la mer, le sujet est vite évacué. Comme si on considérait les océans comme un milieu naturellement dangereux et les marins des victimes finalement attendues.
Certes, le commun des mortels monte plus souvent dans un avion que dans un sous-marin.
Donc le crash aérien l’inquiète plus qu’un naufrage. Et la presse pense à ses lecteurs, parmi lesquels peu de gens de mer.
Mais j’aurais aimé que, juste un temps, on repense aux 53 hommes d’équipage de ce sous-marin indonésien, dont les corps ne seront jamais retrouvés.
Dont les familles vont devoir faire le deuil, difficilement, sans dernier adieu.
Quand le sous-marin français Minerve a été retrouvé, 51 ans après sa disparition, en juillet 2019, le chef d’état-major adjoint de la marine australienne, un sous-marinier, a salué la mémoire des 52 hommes du bord et parlé d’un équipage « en patrouille pour l’éternité ».
Alors, quand vous verrez une épave, une photo d’épave, pensez bien qu’il y a peut-être eu des marins à bord quand le navire a sombré.
Que ce n’est pas seulement un amas de ferraille qui rouille pour donner un abri aux poissons.
C’est aussi le refuge de l’histoire jamais terminée de marins en mer pour l’éternité.
PS: pour information le reportage "Sous Marin LA MINERVE, 50 ans de mystères" sera rediffusé ce lundi soir à 21 Heures sur la chaine 23 (RMC)
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